Je m'exprime ici à la fois au nom de la fédération départementale du Parti communiste français et en mon nom personnel. René Bailleux fut le premier dirigeant communiste du Bas-Rhin pendant cinq mandats consécutifs, entre 1979 et 1994. Mais en réalité, il joua un rôle politique notoire avant et après cette période. Avant 1979, il assuma, plusieurs années durant, la responsabilité, alors tout à fait nouvelle, de "Secrétaire de Ville" pour l'agglomération strasbourgeoise. Créée pour appréhender dans leur globalité les enjeux urbains grandissants, cette mission hautement politique permit à René d'épanouir ses capacités à animer le travail collectif avec un dynamisme dont les militants et les militantes alors investis dans ces actions se souviendront aisément. Après 1994, René ne chercha pas à faire de l'ombre à ses successeurs, mais son implantation locale et sa notoriété à travers le département, héritée tout à la fois de son activité politique et de ses fonctions professionnelles, lui valurent une écoute et lui conférèrent, de fait, une influence, pendant de longues années encore.
Meeting unitaire pour le programme commun en avril 1973
Un quartier de Strasbourg a tenu une place particulière dans son activité au plus près des gens, c'est le Neuhof, où il a vécu jusqu'au dernier jour et auquel il était profondément attaché. Il y était à 'aise, et on l'y respectait, qu'il s'agisse des électrices et des électeurs qui lui témoignèrent plus d'une fois une confiance inédite dans notre ville; ou bien des personnes avec lesquelles il échangeait et agissait dans les associations ou encore tels prêtres ou tels pasteurs dont il partageait bien des combats pour la justice sociale et la dignité humaine. J'ai, à cet égard, un souvenir personnel et impérissable : celui de la rencontre authentiquement fraternelle dont René créa les conditions entre Georges Marchais et les fidèles d’une petite église du Neuhof au mois de juin 1977. L'ambiance y était si conviviale que le curé interpella le Secrétaire général du PCF par ces paroles spontanées qui sont passées à la postérité : "Monsieur Marchais, je ne sais plus si je dois vous appeler frère ou camarade" !
Soirée carnavalesque au Neuhof 1 mars 1986
René témoignait de la même proximité sincère dans ses relations avec ses nombreux interlocuteurs professionnels. Il faut, en effet, le noter pour le mettre à son avantage : ingénieur topographe de formation, René exerça sans interruption sa profession de responsable départemental du remembrement et donna, en outre, des cours aux étudiants de l’Institut National des Sciences Appliquées. Son activité politique, totalement bénévole, amputa d'autant son temps libre. Voilà une forme de désintéressement dont plus d'un de nos politiciens médiatiques gagneraient à s'inspirer ! Il n'est pas non plus sans signification que, tout engagé qu'il fût sans compromission aucune, René bénéficiait de l'estime de ses collègues de toute opinion comme de son supérieur, alors Président du Conseil général, Daniel Hoeffel, pourtant éloigné de ses idées politiques. Il en alla de même de la part de nombreux élus locaux avec lesquels ses missions sur le terrain l'amenaient à coopérer. Tel était l'homme communiste René Bailleux.
Assemblée populaire à Mutzig 29 janvier 1990
La période durant laquelle il fut Secrétaire départemental du PCF ne fut pas banale. D'abord, 1979 fut l'année de la première élection du Parlement européen au suffrage universel. Tous les yeux étaient tournés vers Strasbourg : il fallait "assurer"! Deux ans plus tard, les communistes entraient au gouvernement : du jamais vu depuis 1947. Là aussi, il a fallu apprendre vite et tenir bon pour un No 1 départemental vers qui convergeaient questions et interpellations ! Quant à la dernière décennie d'existence du système soviétique, elle ne facilita pas la tâche d'un responsable communiste... René fit face avec honneur à tous ces défis.
1ère assises de l’industrie de la mécanique 10 décembre 1982
Mais il n'y avait pas que la politique dans sa vie. On ne peut évoquer la mémoire de René sans évoquer la femme qui partagea son existence : la toujours disponible Sonia, dont la disparition prématurée jeta une ombre durable sur les dernières années de sa vie . Le couple, aux personnalités complémentaires, était profondément uni. "René, c'est un dur-à-cuire" aimait à remarquer l'inséparable épouse. Penser à René, c'est également se remémorer son penchant pour les cigarettes maïs, son goût pour la pêche, sa passion pour les cuisses de grenouilles, ou, sur un autre registre, son addiction à l'informatique -dont il fit, au demeurant, très tôt, bénéficier le bureau de son parti.
René et sa cigarette
De ces longues années de collaboration, d'amitié et de complicité, je garde le souvenir d'un homme bien. J'exprime à tous ses proches et tout particulièrement à ses deux fils qu'il adorait, Gilles et Yves, ma profonde sympathie.
BAILLEUX René (biographie)
SOURCE : Entretiens du 10 juin 2001 et du 15 janvier 2002.
Françoise Olivier-Utard (extrait du Metron)
Né le 10 octobre 1935 à Lens (Pas-de-Calais) ; ingénieur ; communiste dans le Nord puis en Alsace ; secrétaire fédéral à l’organisation du Bas-Rhin de 1968 à 1977, premier secrétaire fédéral du Bas-Rhin de 1977 à 1993.
Son père, Léon Bailleux, né le 7 mai 1901 à Denain (Nord), mort le 21 avril 1973 à Lens, fut commerçant avant de devenir, après 1940, chauffeur à la ville de Lens. Protestant d’origine, il n’était pas pratiquant. Il militait activement à la SFIO et se syndiqua à FO. Sa mère Berthe Henry, née le 18 novembre 1901 à Liévin (Pas-de-Calais), morte le 2 mai 1973 à Lens, était directrice d’école maternelle, et socialiste elle aussi. Le couple eut deux enfants, René Bailleux étant le cadet.
Il fit ses études primaires à Lens, ses études secondaires au lycée Condorcet de Lens, et deux ans de classes préparatoires au lycée Faidherbe de Lille. Il entra en 1955 à l’École nationale d’Ingénieurs de Strasbourg (ENIS devenue ENSAIS par la suite), obtint le diplôme d’ingénieur-géomètretopographe et fut embauché immédiatement à la direction départementale du Bas-Rhin de l’agriculture et des forêts. En 1990, il passa au service du département, en conséquence de la loi
Defferre de 1983 sur la décentralisation. Il prit sa retraite en décembre 2000. Il s’était marié avec Sonia Mutterer, née le 24 mars 1935 à Strasbourg (Bas-Rhin). Ils eurent deux fils.
René Bailleux avait été sensibilisé aux questions politiques dès son enfance, par un milieu socialiste favorisant les discussions et engagé dans les luttes. Il choisit cependant le Parti communiste sur la base de la lutte anticolonialiste et de la lecture des textes de Marx, qu’il avait trouvés à la Maison du peuple de sa ville natale. Il obtint sa carte du PCF en 1953, à Lille (Nord). Dans sa cellule il côtoyait Jean Kanapa* et Jean Colpin*.
Quand il arriva à Strasbourg en 1955, il mit sur pied la section des étudiants communistes, qui compta bientôt une centaine de membres, assez en marge cependant de la fédération départementale. Il était invité aux réunions du comité fédéral en tant que secrétaire de ville de l’UEC.
Il fut élu directement au bureau fédéral en 1966 sur proposition de la section de Strasbourg-Neuhof, et suivit une école d’un mois en 1968 à Viroflay. En septembre de la même année, il devint secrétaire fédéral à l’organisation, au départ d’Alphonse Boosz*. Il accéda au poste de premier secrétaire de la fédération en 1977 et fut réélu jusqu’en 1993. Son élection marquait un tournant dans la vie politique de la fédération alsacienne, qui avait été jusquelà assez peu ouverte aux Français de l’intérieur et aux intellectuels. Il organisa les campagnes de diffusion de la politique nouvelle du programme commun, chercha un rapprochement à la base avec
les chrétiens alsaciens. Il se heurta toutefois à la hiérarchie catholique.
Le voyage de Georges Marchais* en Alsace, au printemps 1977, avait eu un effet important de mobilisation dans les cellules et de médiatisation dans l’opinion publique. Lorsque la gauche arriva au pouvoir en 1981 et que le PCF devint un parti de gouvernement, les efforts de la fédération se portèrent sur les questions concrètes régionales, en particulier dans la bataille pour l’emploi à « la
Cellulose » de Strasbourg en 1982. Mais, les contradictions liées à la situation politique ne purent être surmontées et démobilisèrent une partie des militants.
Candidat aux cantonales en 1972, René Bailleux obtint 14 % des voix, ce qui était en Alsace un bon score. Il fut aussi candidat aux élections municipales sur la liste d’Union de la gauche conduite par le socialiste Étienne Trocmé, en 1983, mais il ne fut pas élu, la gauche étant trop faible à cette époque à Strasbourg. Candidat aux élections législatives, il subit le déclin du parti et n’obtint que 8,81 % de voix en 1978 et 4,5 % en 1981. Il fut encore candidat en 1986.
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